Alvaro de Campos (appelé aussi Fernando Pessoa)
J'ai un grand rhume de cerveau,
Et tout le monde sait combien les grands rhumes de cerveau
Altèrent tout le système de l'univers.
Ils nous fâchent avec la vie
Et ils font éternuer jusqu'à la métaphysique.
Toute la journée perdue à force de me moucher.
J'ai mal à la tête indisctinctement.
Triste état pour un poète mineur !
Aujourd'hui je suis un poète mineur en vérité.
Ce que jadis fut un désir; il s'est brisé.
Adieu à jamais, reine des fées !
De soleil étaient tes ailes, et me voici qui vais à pied.
Je ne me sentirai pas bien si je ne me couvhe pas.
Jamais je ne me suis trouvé bien que couvhé dans l'univers.
Excuseé un peu ... Quel grand rhume de cerveau physique !
J'ai besoin de vérité et d'aspirine.
Je commence à me connaître. Je n'existe pas.
Je suis l'intervalle entre ce que je voulais être et ce que de moi ont fait les autres,
Ou la moitié de cet intervalle, car il y a la vie aussi ...
C'est cela que je suis, enfin ...
Eteins la lumière, ferme la porte, et fais cesser ces bruits de savates dans le couloir
Que je reste seul dans ma chamre avec un grand apaisement intérieur.
C'est un univers de pacotille.
Le marché de la Place de Figueira au matin
Lorsqu'il fait grand soleil (comme toujours
Il advient à Lisbonne), jamais de moi ne se laisse oublier,
Encore que ce soit là un souvenir futile.
Il est tant de chose de plus d'intérêt
Que cet endroit logique et plébéien,
Mais c'est, tel quel, celui que j'aime ... Le sais-je, moi,
Pourquoi je l'aime ? N'importe. Passons outre ...
Ces sensations ne valent vraiment d'être éprouvées
Qu'à condition de n'être scrutées de trop près.
Aucune d'elles ne suffit à me donner la paix ...
Du rest, rien en moi n'est certains et n'est
D'accord avec moi-même. Les heures belles
Sont celles d'autrui ou celles qui n'existent pas.
Si tu veux te tuer, pourquoi donc ne veux-tu pas ?
Ah, saisis l'occasion, car moi, qui aime si fort et la mort et la vie,
Si j'osais me tuer, je me tueras aussi ...
Ah, si tu l'oses, ose donc !
A quoi te sert le tableau successif des images externes
Que nous appelons le monde ?
Le cinématographe des heures représentées
Par des acteurs aux conventions et aux poses déterminées,
Le cirque polychrome de notre dynamisme infini ?
A quoi te sert ton monde intérieur que tu ignores ?
Peut-être, en te tuant, finiras-tu par le conaître ...
Ta fin, peut-être serait-elle un commencement ...
Et de toute façon, si le fait d'être au monde te lasse,
Ah, lasse-toi noblement,
Et ne chante pas la vie, comme moi, par ivresse,
Ne salue pas comme moi la mort en littérature !
Tu manques à quelqu'un ? O ombre futile qu'on appelle les gens !
Personne ne manque; tu ne manques à personne ...
Sans toi, tout ne fera son cours sans toi.
Peut-être, pour autrui, ton existence est-elle pire que ton suicide ...
Peut-être, en durant, es-tu plus à charge qu'en cessant de durer ...
La peine des autres ? ... Anticiperais-tu sur le remodrs
Que t'inspireraient leurs larmes ?
Tranquilise-toi : ils ne ne pleureront guère ...
L'élan vital peu à peu apaise les larmes ?
Lorsqu'elles ne viennent pas de choses qui sont à nous,
Quand elles viennent de ce qui arrive aux autres, surtout la mort,
Parce que c'est chose après quoi il n'advient plus rien aux autres?
En premier lieu c'est l'angoisse, la surprise de la venu
Du mystère et du creux que laisse la vie dans les conversations ...
Puis l'horreur du cercueil visible et matériel,
Et les homes en noir qui font profession d'être presents...
Ensuite la famille à la veillée, inconsolable et contant de bonnes histoires
Geignant sur le chagrin que ta mort leur inspire,
Et toi, simple cuse occasionnellle de cette affliction,
Toi, mort en vérité, bien plus mort que tu ne le souspçonnes,
Même si tu es bien plus vivant dans l'au-delà ...
Ensuite, la retraite tragique vers le caveéau où vers la fosse,
Et puis le début de la mort de ton souvenir,
Il y a d'abord chez tous un soulagement
De la tragédie un peu ennuyeuse que fut ta mort ...
Ensuite la conversation s'allège quotidiennement,
Et la vie de tous les jours reprend son train-train ...
Et puis, lentement, c'est l'oubli.
On ne se souvient de toi qu'à deux dates anniversaires;
Celle de ta naissance et celle de ta mort.
Rien de plus, rien de plus, absolument rien de plus.
Deux fois par an on pense à toi,
Deux fois par an, à ton nom soupirent ceux qui t'ont aimé,
Et une fois de temps en temps ils soupirent si ^par hasard on prononce ton nom.
Regarde-toi à froid, et à froid regarde en face ce que nous sommes,
Si tu veux te tuer, tue-toi ...
N'ai pas de scrupules moruax, des craintes cérébrales ! ...
Quels scrupules ou quelles craintes a donc la mécanique de la vie ?
Quels scrupules chimiques éprouve l'impulsion qui régit
Les sèves, et la circulation du sang, et l'amour ?
Quels souvenir d'autrui a donc le rythme allègre de la vie ?
Ah, quel pauvre vanité de chair et d'os porte le nom d'homme,
Ne vois-tu pas que ton importance est rigoureusement nulle ?
Tu es important pour toi, parce que c'est toi que tu sens.
Tu es tout pour toi, parce que pour toi tu es l'univers,
Et l'unvers lui-même et les autres
Satellites de ta subjectivité objective.
Tu es important pour toi, parce que tu es seul à être important pour toi.
Et si tu es ainsi, ô mythe, pourquoi les autres ne le seraient-ils pas ?
Aurais-tu, tel Hamlet, l'effroi de l'inconnu ?
Mais qu'est-ce qui est connu ? Qu''est-ce que tu connais, toi,
Pour appeler inconnu quoi que ce soit spécialement ?
Aurais-tu, tel Falstaff, l'amour adipeux de la vie ?
Si tu l'aimes ainsi matériellement, aime-la plus matériellement encore,
Fais-toi fibre charnelle de la terre et des choses !
Disperse-toi système physico-chimique
De cellules nocturnement conscientes
Parmi la conscience nocturne de l'incoscience des corps,
Parmi la grande converture qui ne couvre rien des apparences,
Parmi l'herbe et le gazon de la prolifération des êtres,
Parmi le brouillard atomique des choses
Parmi les parois ourbillonnantes
Du vide dynamiqe de l'univers ...
page écrite en la mémoire de Pesoa par Denis.